HANDBALL / RIBERAC : Qu'importe le flacon …
Les Seniors Féminines du CAR Handball ont réalisé un performance mémorable, samedi soir, en quart de finale de la Coupe de Dordogne, en sortant Sarlat (33-32), le tenant du titre, face à qui elles avaient chuté en finale l'an dernier. Le but de la victoire a été inscrit après le buzzer, sur un coup franc décisif de Camille Gamio.
Une explosion de joie. Une euphorie intense. Une ivresse délirante. Il y a certaines fois où vous vous demandez pourquoi vous aimez le sport, et celui-ci vous apporte alors une réponse des plus détonantes. Cet affrontement entre Ribérac et Sarlat (le tenant du titre), en quart de finale de la Coupe de Dordogne, fut le théâtre d'un sommet d'intensité acharné, passionné, et quelque part un peu tragique, dont le verdict n'est tombé qu'à son dernier souffle. Le score était de 32 partout au moment où Camille GAMIO s'est préparée à frapper le dernier coup franc direct du match, alors que le buzzer avait déjà retenti. Tout le monde s'est tu, raccroché à la seule décision que le poignet gauche de la joueuse ribéracoise s'apprêtait à offrir. Un mur se dressait face à elle. On n'osait pas vraiment y croire, et on attendait légèrement angoissé la séance des tirs aux buts. Camille, elle, n'a pas esquissé le moindre doute : « Pour moi, il est dedans parce qu'il y a les cages qui sont ouvertes ». Le match avait dès lors choisi son camp. Les filets ont tremblé. Et, dans une ambiance délirante, les Morues ont pu exulter. Car, c'est vrai, ce n'est pas un petit exploit qu'elles venaient de réaliser.
Alors, face à un tel spectacle, on pourrait rester coi, dubitatif, incertain – que sais-je ? – et ne point s'émouvoir. Le non-connaisseur, lui, reste perplexe. Ce n'est que du sport – du handball, de surcroît –, après tout. Oui, ce n'est que du sport. Et c'est justement pour cela qu'on peut s'accrocher à lui avec une ferveur et un enthousiasme assez peu rationnels. Bien sûr, je pourrais tenter de rester neutre, de toujours tendre vers cette sacro-sainte objectivité inhérente au journalisme. Il y a quelques jours, je discutais avec Maxime Dupuis, rédacteur-en-chef adjoint d'Eurosport.fr, et il m'a confié : « Je ne suis pas objectif mais j'essaie d'être honnête ». Et dans le cas présent, il faut avouer que vouloir être objectif ne serait pas honnête. Je ne suis qu'un vulgaire supporter, et mes articles sont nécessairement orientés vers le jaune et le vert. Mon travail, ici, ce n'est pas du journalisme. Je suis un journaliste de club, au mieux ; un communicant, au pire – où es-tu, Lucifer ? –. Qu'importe. Je m'en fous un peu. Aujourd'hui, j'ai décidé de parler à la première personne, et, si je ne suis pas objectif et si je risque parfois d'être malhonnête, je tenterais tout de même de faire ressortir une once de sincérité de mon modeste – peut-être pas tellement, en vérité – récit.
C'était une journée formidable, en fait. C'est comme si tout avait été planifié pour qu'elle puisse se conclure en apothéose. Quelques heures avant le match, j'avais retrouvé mes coéquipiers de la saison dernière – même si certains, malheureusement, manquaient encore à l'appel –, dans une ambiance nostalgique mais qu'on tentait irrésistiblement de ramener au présent. Fatalement, c'est avant tout une pluie de souvenirs qui s'abattait sur nous, et, plutôt que de les partager autour de crêpes garnies de saucisses de Toulouse, nous avons plutôt opté pour notre traditionnel kebab. Vous vous en moquez sûrement, mais pour nous, cela signifiait beaucoup. Après ça, et avant d'aller soutenir nos Morues préférées, nous sommes allés boire un verre – que Falcao n'aurait pas renié – et c'est avec un léger sourire que nous nous sommes assis près de la table qu'occupaient les joueuses de Ribérac, un peu plus d'une heure avant le début du match. Un de mes amis – Alexandre, pour ne pas le citer – m'a alors soufflé, avec une voix légèrement rieuse : « Tu verras, à chaque fois qu'elle boivent un coup avant le match elles gagnent ».
Signe indien ou pas, il faut bien croire qu'il avait raison. Des victoires comme celle acquise par les Seniors samedi soir, Alexandre, mes autres coéquipiers et moi en avons vécu. Pas beaucoup, certes. Mais une, surtout, du côté de Sainte-Foy (http://josh24600.over-blog.com/2016/03/handball-riberac-une-malheureuse-ombre-au-tableau.html), restera gravée à jamais dans notre mémoire. C'est ce genre de performance que l'on continuera éperdument de (se) raconter – toujours de la même manière, inlassablement, mais qu'importe – pendant des années et des années, et peut-être même un jour au coin du feu. C'est le genre de performance qui forge l'identité d'un groupe, qui forge une équipe et qui forge même les plus fortes des amitiés car, envers et contre tout, vous aurez à jamais ce moment unique en commun. Enfin, c'est le genre de performance dont l'émotion et l'extase sont sans pareilles, et figureront éternellement parmi les plus belles que vous ayez pu vivre. Alain LANDRODIE, notre vénéré président, ne s'y trompe pas : « ce match fait partie des victoires les plus mémorables, c'est certain ».
Il y a plusieurs éléments qui confèrent à cette victoire une place sans équivoque dans les esprits jaunes et verts, quoiqu'ils soient tous intimement liés. Le scénario incandescent ayant habité ce match en est assurément la première cause, lui qui s'est fait l'écho de chavirements incessants et rocambolesques jusqu'à la délivrance finale. Le point de vue d'Anne-Sophie LANDRODIE, la capitaine ribéracoise, assez cocasse par ailleurs, sur le but de la victoire, n'en est pas moins éclairant : « Moi, je ne le vois pas. Je vois Bertrand se lever et lever les bras. Là, pendant 10 secondes, je me dis ''c'est pas possible on n'a pas gagné''. Je ne réalise pas vraiment ». C'est une émotion indescriptible d'aller chercher un succès au bout de l'effort, de sortir vainqueur d'un bras de fer long d'une heure, avec continuellement au plus profond de soit la peur de tout voir s'écrouler en un instant. Tout se confond dans une intemporalité éphémère et transcendante qui nous fait croire, succinctement, que plus rien n'a d'importance, sinon l'impression d'avoir réaliser, à notre échelle, quelque chose de grand.
Mais, au-delà du scénario, c'est également l'intensité électrisante et inhérente à ce quart de finale qui donne à la victoire des Ribéracoises une saveur si particulière. Un constat renforcé par l'effectif limité dont elles disposaient à l'orée du coup d'envoi (7 joueuses, soit aucune remplaçante) face au dispositif adverse (10 joueuses), amenant Anne-Sophie à poursuivre en ce sens : « C'était un match très serré et très stressant. On est sept, on ne peut pas tourner, et on sait qu'il faut qu'on soit dedans à tout moment. C'est vraiment très intense ». Les deux équipes, en plus de ne pas compter leurs efforts et de dépenser beaucoup d'énergie, ont évolué à un niveau particulièrement élevé tout au long d'une rencontre où le rythme n'est guère retombé, comme en ont attesté les crampes d'Anne-Sophie en fin de match (55e) et de plusieurs de ses coéquipières sur la touche (56e). Personne n'est d'ailleurs parvenu à prendre une avance considérable sur son adversaire, l'avantage de chacun n'ayant jamais excédé les 3 buts d'écart.
Toutefois, si les deux formations se sont rejointes via les décibels qu'elles ont successivement lâché dans l'arène, elles n'avaient pas choisi la même enceinte. Ce combat fut avant tout une magnifique opposition de style entre des Ribéracoises plutôt attachées à trouver la faille sur attaques placées et des Sarladaises misant sur la vitesse à la récupération du ballon. L'entame de match, partie sur des bases très élevées, a donné le ton de l'ensemble de la rencontre et les Morues ont dû faire preuve de beaucoup d'inventivité et de variété à l'approche du but, alternant entre frappes à 9 mètres, frappes en appui, décalages intelligents, et mise en place de deux pivots. Scorant sur chacune de leur possession de balle et pouvant compter sur une Marie-Laure GRÉBIL en feu (deux doubles arrêts : 7e, 10e et parades : 10e, 14e, 18e), les Jaunes et Vertes ont réalisé une entame de match convaincante (9-6, 12e). Mais, en offrant quelques boulevards dans leurs intervalles, elles ont laissé le vent sarladais se faire plus menaçant (13-14, 22e), jusqu'à devenir glaçant à l'approche de la pause (16-19, 30e).
En pareilles circonstances, appartient-il aux joueuses ou à leur entraîneur de trouver la solution pour repartir de l'avant ? J'aurai du mal à vous répondre. Je dirai simplement qu'il tient à l'entraîneur de fournir le paravent à ses joueuses mais que celles-ci doivent encore savoir comment l'utiliser. Cette alchimie, Bertrand GAVIGNET est parvenu à l'opérer, à la mi-temps du match. Le coach ribéracois raconte : « J'avais juste demandé aux filles d'avoir des attitudes défensives plus cohérentes pour récupérer le ballon. Inconsciemment, elles montent un peu plus sur les attaquantes adverses ». Aussitôt, les Ribéracoises appliquent la consigne et se positionnent même naturellement dans un schéma défensif osé en 1-2-3, avec Anne-Sophie en position avancée. Le coup tactique est génial, l'efficacité est immédiate, et les Jaunes et Vertes enchaînent les interceptions, collant même un 6-0 aux Sarladaises sur les 8 premières minutes de la seconde période (22-19, 38e). Anne-Sophie le sait, le tournant du match s'est peut-être joué à ce moment-là : « c'est la consigne de Bertrand d'être plus agressives. Pour une fois qu'on arrive à appliquer les consignes directement, c'est gagnant ».
Malgré tout, les Ribéracoises, au gré de la fatigue accumulée, ont fatalement fini par reculer. Comme en première mi-temps, elles ont accusé un léger contre-coup physique, et les Sarladaises sont revenues au score (23-23, 42e), jusqu'à prendre l'avantage (27-28, 49e). Plus qu'un projet de jeu, c'est alors la force mentale des Jaunes et Vertes qui a dû prendre le relais. Coralie CHORLET (9 buts), replacée en position d'arrière et auteure d'un match exceptionnel, tout comme Anne-Sophie LANDRODIE (8 buts) et Camille GAMIO (7 buts) avaient encore de la réserve tant pour les frappes à 9 mètres que pour la prise d'intervalles, afin de permettre à Ribérac de rester au contact. Menées d'un but par trois fois consécutives, les Jaunes et Vertes ont eu les ressources pour rattraper le train adverse encore, encore et encore (30-30, 54e), avant de reprendre la tête pour la première fois depuis 10 minutes (31-30, 56e). Notre cœur battait déjà très fort, l'atmosphère devenait suffocante, mais le meilleur restait à venir.
Alors qu'il y avait 32-32 et que la séance de tirs aux buts approchait, on pouvait légitimement être inquiet pour des Ribéracoises qui ont affiché une grande défaillance sur jet de 7 mètres tout au long de la partie (bilan de 4/8, 50 % de réussite). Elles ont alors obtenu un dernier coup franc, lorsque le buzzer a retenti. Vous savez déjà tout ça. Mais moi, à cette heure-là, je l'ignorais encore. J'étais debout, sur le bord de la touche, prêt à exploser – au cas où, on ne sait jamais. Le bras de Camille s'est alors élancé. Comme un symbole, le mur sarladais s'est désintégré. L'issue, vous la connaissez. C'était irrationnel, prodigieux, jouissif. Tellement intense. Bien sûr, tout l'équipe a cherché à tempérer l'extase, à ramener dans le rationnel ce qui ne l'était pas, avec, comme projection, déjà, le championnat : « S'il y avait un choix à faire, je ferai celui du maintien en région. C'est la vitrine du club », a confirmé Bertrand GAVIGNET. Je me souciais bien peu de ces considérations, et, en écho aux célébrations des Morues, je sautais dans les bras de mes amis, émerveillés que nous étions par cet exploit. Samedi soir, j'ai renoncé à faire du journalisme. Je n'étais qu'un vulgaire supporter au cœur d'une journée formidable. J'aime cette équipe et j'aime ce club. Juste : merci.